La cuisine ligure
La Ligurie est cette région du nord de l’Italie qui relie la France à la Toscane. Sa cuisine est le reflet de son territoire, riche en biodiversité, avec ses falaises dentelées, ses promontoires et ses criques, où les saveurs de tous ses paysages se mélangent.
La cuisine ligure, entre mer et montagne
La Ligurie est un territoire aux mille nuances. Cette étroite bande de terre est coincée entre la Méditerranée et les crêtes des Apennins qui se rencontrent ici en parfaite harmonie, créant un ensemble éblouissant et lumineux qui lui confère un charme unique. Les maisons colorées et les potagers s’insèrent entre les oliveraies et les vignobles, entre la brume de l’arrière-pays et le scintillement de la mer.
Ce paysage fascinant ne se contente pas d’être visuellement captivant, il inspire également une tradition culinaire riche et authentique. La cuisine ligure est une cuisine parfumée, résultant d’un savant mélange entre terre et mer. Elle est le reflet de la morphologie complexe de la région et l’histoire qui l’a marquée, en utilisant au mieux les produits de son terroir pour créer une gastronomie principalement autochtone, autosuffisante et frugale.
Une cuisine “pauvre”
La cuisine ligure est une cuisine “pauvre” qui puise dans la richesse de son territoire. Du potager avec les légumes et légumineuses, au sous-bois avec ses champignons et les truffes, en passant par les herbes aromatiques sauvages comme la marjolaine, le fenouil ou l’origan, sans oublier aussi les produits de la mer et la volaille. C’est une cuisine simple, sans opulence, caractérisée par des saveurs franches que l’on retrouve dans chaque recette.
Les tartes salées, qui occupent une place importante, en sont l’exemple parfait. La torta Pasqualina, par exemple, est une tourte réalisée à l’origine avec 33 feuilles de pâte feuilletée, symbolisant chaque année de la vie du Christ, et farcie de légumes verts, d’artichauts et d’œufs durs.
En Ligurie, lorsqu’on cuisine la viande, on privilégie surtout les viandes blanches, maigres. Par exemple, le lapin à la ligurie est mijoté lentement avec des herbes sauvages, des pignons et des olives taggiasche.
On retrouve aussi le tuccu, une sauce préparée à partir de légumes hachés, de tomates et de vin rouge, dans laquelle on fait cuire une pièce entière de bœuf. La viande rouge étant plus rare, le tuccu est une recette que l’on réserve aux jours de fête.
La cuisine ligure est aussi une cuisine antigaspi, où les Liguriens ont l’habitude de transformer les restes en délicieux légumes farcis, comme les fameux verdûe pinn-e, légumes farcis en dialecte. Ces farcis, toujours cuits au four et saupoudrés de chapelure, sont traditionnellement préparés sans viande, pour un résultat à la fois léger et savoureux. Le potager ligurien est suffisamment généreux pour fournir tout ce qu’il faut : courgettes, oignons, poivrons, aubergines, cardons, artichauts, tomates, fleurs de courgette et pommes de terre. La farce est généralement composée de la chair du légume lui-même, préalablement bouillie, égouttée, puis broyée avec de l’ail, des œufs durs, des champignons, de la chapelure et des herbes aromatiques.
Une cuisine végétale
Les légumes sont aussi largement utilisés pour garnir les nombreuses frittate (omelettes), les polpettoni (pains de viande) ou encore les pansotti, ces raviolis ronds typiques que l’on prépare au printemps avec le prebuggiun, un mélange d’herbes sauvages propres à la cuisine ligure. Il est courant de préparer les involtini di cavolo, des rouleaux de chou farcis avec des pommes de terre, des œufs, du pain rassis, du lait et du fromage. Chaque famille y ajoute, selon ses ressources, des bettes, du prosciutto (jambon) ou de la mortadelle. L’ingrédient essentiel dans ces farces typiquement liguriennes est la marjolaine, l’aromate par excellence, que l’on surnommait la persa en génois, en référence à ses origines persanes. Les Liguriens, réputés pour leur frugalité, ont toujours privilégié les savôi, ces herbes aromatiques qui poussent dans la région. Ces plantes, accessibles et gratuites, étaient précieuses pour enrichir leurs plats d’arômes authentiques, profondément ancrés dans le terroir ligurien.
S’il est une recette capable de rassembler tous les Génois, c’est bien celle du pesto alla genovese. Initialement, il n’existait pas de recette standardisée. La première mention écrite proche de la recette actuelle date de 1863 dans le livre La cuciniera genovese de Giovanni Battista Ratto. Inspiré du moretum romain et de l’agliata médiévale, enrichie de basilic sous l’influence du pistou provençal, le pesto est devenu un condiment pour pâtes. Le pesto génois traditionnel se compose de basilic genovese DOP, d’ail, de pignons de pin, de sel, de parmigiano, de pecorino fiore sardo et d’huile d’olive, et se consomme froid.
Le basilic genovese DOP, emblème de la région, se distingue par ses petites feuilles ovales, vert clair et légèrement frisées, sans l’arôme mentholé des autres variétés. Cultivé toute l’année en serre et en plein champ l’été, il est essentiel au pesto, dont le nom vient du verbe pestare (« écraser ») en référence à sa préparation traditionnelle dans un mortier en marbre avec un pilon en bois. Ce condiment assaisonne divers types de pâtes, tant fraîches que sèches. On l’utilise notamment avec les trofie, des pâtes courtes et torsadées et torsadées, ou les trenette, légèrement plus larges que les linguine. Le pesto génois peut aussi assaisonner des gnocchis de pommes de terre ou de châtaignes, des lasagnes avec leur fine pâte appelée mandilli de sea, ou encore des spaghetti, souvent servis avec des cubes de pommes de terre et des haricots verts.
Une cuisine de rue
La cuisine ligure c’est aussi une cuisine de rue ancrée dans la simplicité de ses ingrédients. Avec de la farine, de l’eau, de la levure, du sel et une huile d’olive exquise, on confectionne la focaccia genovese, ou fugassa en dialecte. Indissociable du quotidien, elle se savoure à toute heure, que ce soit dans la rue ou trempée dans un cappuccino au petit matin. Pour être parfaite, elle doit sortir du four juste à temps, parfumée, légèrement huilée, à la fois moelleuse et croustillante, un équilibre que seuls les boulangers génois maîtrisent à la perfection.
Sans levure, mais avec les mêmes ingrédients, on obtient une version encore plus irrésistible : la focaccia di Recco, véritable institution. Deux fines couches de pâte enveloppent un fromage local, la prescinseua, dont la texture se situe entre le yaourt et la ricotta. Parmi les autres incontournables de la cuisine de rue ligure, on trouve la farinata, une galette de pois chiches, cousine de la socca niçoise, idéale à déguster sur le pouce, ainsi que la panissa, plus épaisse, découpée en cubes puis frite.
Une cuisine de la mer
La Ligurie, autrefois grande puissance maritime au cœur de la Méditerranée, est baignée par des eaux riches en anchois, thons, seiches, calamars et merluches. En cuisine, ces poissons se révèlent à travers divers plats : la buridda, une soupe mijotée de poissons, champignons, câpres et tomates ; le zemin, un bouillon de légumes et tomates, base pour des soupes de morue ou de seiche ; le brandacujun, une sorte de brandade, ou encore le ciuppin, une soupe crémeuse de poissons de roche. Les muscoli ripieni sont des moules farcies de mortadelle, jambon, œuf et parmesan, appelées “muscoli” pour leur force à l’état cru. S’ajoutent les incontournables morue salée et baccalà, introduits il y a plus de quatre siècles depuis le Nord. Les anchois, pêchés dans des gozzi (petites barques en bois), étaient préparés sur place pour être conservés sous sel.
Une terre de vignobles et d’oliveraies
L’huile d’olive Riviera di Ligure
Près de Sottoripa, les Génois avaient l’habitude de conserver leur précieuse huile d’olive, préférée à d’autres graisses comme le beurre, le lard et la pancetta. La variété d’olive taggiasca, également appelée lavagnina en raison de sa culture près de Lavagna, s’épanouit dans ce terroir depuis le IXe siècle. Cette olive donne son nom à l’appellation Riviera Ligure DOP pour l’huile d’olive. Outre l’huile, les olives, charnues et savoureuses, sont aussi conservés en saumure pour enrichir de nombreuses recettes.
Le vin ligure
La terre sauvage de la Ligurie n’est pas des plus généreuses avec les vignes, qui s’accrochent à des terrasses abruptes surplombant la mer. Ces conditions difficiles limitent encore aujourd’hui la production de vin, principalement des blancs et agréables à déguster. Parmi les vins d’exception, le Sciacchetrà des Cinque Terre se distingue par sa rareté et son appréciation, bien qu’il soit réservé à quelques privilégiés. Le Vermentino des Colli di Luni, le Pigato de la Riviera di Ponente, le Moscatello de Taggia et le Rossese di Dolceacqua, avec leurs arômes uniques, offrent également des expressions remarquables.
Biscuits et gâteaux de Ligurie
Dans son ouvrage La Science en cuisine et l’art de bien manger, Pellegrino Artusi fait l’éloge des biscuits et desserts génois, réputés pour leur caractère nourrissant :
State allegri, ché con questi biscotti non morirete mai o camperete gli anni di Mathusalem.
Le pandolce, un pain sucré garni de fruits confits, raisins secs et pignons de pin, les biscotti del lagaccio, sucrés et friables, ou encore les ancini, biscuits à l’anis à tremper, sont autant de douceurs conçues pour résister au temps, notamment lors de longues traversées en mer.
La stroscia est sans doute le dessert le plus emblématique de la cuisine ligure. Ce gâteau, à base de farine, d’huile d’olive, de vin et de zeste de citron, est peu sucré, friable, avec une surface rugueuse et une texture sableuse. Il se coupe en morceaux irréguliers, car il ne peut être tranché nettement, mais doit être brisé à la main, d’où son nom, dérivé du verbe struscià (casser).
À Gênes, les cavalini con la panna, légers choux garnis de crème fouettée, sont le dessert dominical par excellence, incontournables lors des fêtes. Plus raffinés, les canestrelli en forme de marguerite, fondants et saupoudrés de sucre glace, ou les baci di Alassio, deux demi-sphères de chocolat et noisettes fourrées de crème au chocolat, ravissent les amateurs de douceurs, similaires aux bacci di Dama piémontais.
En Italie, on l’appelle pan di Spagna, en Espagne, c’est le bizcocho genovés, et en France, on le connaît sous le nom de pâte génoise. Son origine remonte au milieu du XVIIIe siècle, lorsque le marquis Domenico Pallavicini, alors ambassadeur de la République de Gênes à Madrid, emmena avec lui son cuisinier, Giobatto Cabona. Lors d’une réception, ce dernier présenta une de ses créations, moelleuse et savoureuse, préparée à partir des ingrédients du biscuit de Savoie piémontais. Les invités furent si conquis qu’ils baptisèrent ce dessert “pâte génoise“. Par la suite, une version simplifiée fut créée, donnant naissance au célèbre pan di Spagna.
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