Cucina povera : la cuisine « pauvre » italienne
La cuisine italienne est mondialement connue pour la richesse de ses plats et de ses traditions. Parmi les nombreuses facettes de la gastronomie italienne, il existe un style culinaire unique né de la nécessité de se nourrir et forgé au fil des siècles grâce à l’ingéniosité des Italiens : la cucina povera.
La cucina povera, reflet des traditions paysannes
La cucina povera, littéralement « cuisine pauvre », est une expression apparue dans les années 1970 pour qualifier la cuisine italienne : une cuisine simple, peu onéreuse et issue des traditions paysannes. Cette cuisine paysanne trouve ses racines dans le Mezzogiorno (Sud de l’Italie) et ses régions rurales et agricoles, notamment, les Pouilles ou la Sicile, mais aussi la Toscane et les villes densément peuplées comme Naples. Les familles pauvres devaient faire preuve de créativité pour nourrir leur foyer avec des ressources limitées. Cette cuisine nait donc de la nécessité de tirer parti des ingrédients disponibles, tels que les légumes du jardin, les céréales, les légumineuses, les produits laitiers, les abats ainsi que les restes de la veille. Une cuisine qui, au cours des périodes de difficultés économiques, notamment après la Seconde Guerre mondiale, se développe dans toute l’Italie.
La cucina povera est une cuisine faite de fin de placards et des restes de la veille que les grands-mères et les mères de famille transforment avec amour et générosité. La cuisine pauvre italienne recycle donc avec ingéniosité et astuce le pain rassis, les restes de viande ou les morceaux moins nobles, en les associant aux légumes et aromates du jardin. Une cuisine « anti-gaspi », faîte de peu, non codifiée et inventée sur le moment. Ce style culinaire singulier est le fruit de la débrouillardise et de la frugalité typiques des cuisines traditionnelles de l’Italie rurale.
L’essence même de la cucina povera réside dans la simplicité et le respect des saveurs. Plutôt que de chercher des ingrédients luxueux ou coûteux, cette cuisine se concentre sur la qualité des produits et sur les techniques de cuisson pour en sublimer le goût. Les plats sont souvent préparés de manière rustique, mettant en valeur les goûts authentiques de leurs ingrédients. La cucina povera célèbre les saveurs naturelles, les textures simples et les associations harmonieuses.
Les ingrédients de la cuisine pauvre italienne
La cuisine « pauvre » italienne est faite à partir de produits de « subsistance », des ingrédients de tous les jours et des légumes oubliés, aujourd’hui devenus tendance. Très prisée pour sa simplicité, la « cucina povera » est aujourd’hui synonyme de raffinement. Elle s’invite désormais sur les tables des grands chefs qui subliment des produits rudimentaires, locaux et toujours de saison.
La saisonnalité a une place importante dans le répertoire culinaire de la cucina povera. Les ingrédients sont choisis en fonction de leur disponibilité au gré des saisons afin de garantir une fraîcheur optimale. Les plats varient donc selon les périodes de l’année mais aussi les régions, assurant à la « cuisine pauvre » une diversité régionale et une connexion étroite avec le terroir.
Les légumes et les protéines végétales
Les légumes communs et peu coûteux sont encore aujourd’hui à la base de la cuisine locale en Italie. On trouve au potager familial la cicoria (chicorée), les choux, les courges ou bien la pomme de terre, cultivés pour leur rendement et leur taille.
Les cime di rapa (pousses de navets) sont présents dans tous les potagers et les exploitations maraîchères. Cette herbe sauvage nourrissait autrefois les cochons et, en période de disette, les paysans pauvres. Dans le sud de l’Italie, notamment les Pouilles, elle est traditionnellement cuisinée avec des pâtes en forme d’oreille, les Orecchiette alle cime di rapa.
A Naples, on les appelle friarielli et on les fait sauter à la poêle dans un peu d’huile d’olive. Aujourd’hui, les cime di rapa deviennent tendance et fleurissent sur les étals des marchés bio, appréciées pour leurs atouts nutritionnels.
La cucina povera accorde une place prépondérante aux céréales et aux légumineuses qui sont roboratives, faciles à cultiver et à récolter. Ce régime alimentaire était dicté par la contrainte : en période de vache maigre, les légumes secs sont d’excellents substituts aux protéines animales. Ainsi, on retrouve la polenta au nord, la purée de fève à la chicorée (fave e cicoria) ou encore la pasta e ceci dans le sud, notamment les Pouilles.
Le pain
La cucina povera abonde de recettes pour recycler cet aliment du quotidien. Des pains dits « de survie », nés de la nécessité d’être conservés, aux différentes spécialités boulangères de chaque région, le pain occupe une place fondamentale dans la cuisine de tous les jours. Le pane carasau ou le pan biscotto sont deux variétés de pains secs prisés des bergers et des paysans pour leur longue conservation. Le pain rentre également dans la composition de nombreuses recettes de la « cucina povera » élaborées pour recycler les restes des repas de la veille.
Le répertoire culinaire de la Toscane est riche de recettes utilisant le pain rassis. La ribollita qui signifie littéralement « rebouilli » en est un très bon exemple. Cette recette paysanne de la cucina povera est une soupe rustique très nourrissante semblable à une bouillie de pain rassis et de légumes du potager.
La pappa al pomodoro (bouillie en langage enfantin) est une autre soupe toscane dans laquelle le pain rassis est recyclée avec des tomates. Dans la recette de la panzanella, le pain rassis est recyclé dans une salade assaisonnée d’oignon, basilic, tomates, concombre, huile d’olive et vinaigre balsamique. Enfin, l’incontournable bruschetta préparée à partir de pain rassis grillé au four avant d’être assaisonné d’ail, huile d’olive et tomates grossièrement hachées.
Au sud de l’Italie, le pain rassis est utilisé pour agrémenter les spaghetti alla carrettierra en Sicile et farcir les poivrons verts à Naples (peperoni ‘mbuttunati). Dans les Pouilles, le pain est trempé dans l’eau salée et accompagné de tomates, oignons, concombre et origan (acquasale).
Au nord, dans le Tyrol, le pain rassis est utilisé pour préparé les canederli, des boulettes de pain sec que l’on peut décliner de différentes façons. Le pain dur est ramolli avant d’être mélangé avec du fromage, de la charcuterie et des herbes. Une recette de la cucina povera héritée de la tradition paysanne allemande qui a influencé le Tyrol italien.
Les abats
Les abats que l’on appelle aussi « quinto quarto » (cinquième quartier), regroupe des morceaux d’animaux d’élevage comme, par exemple, les viscères, les organes internes, les glandes… Ces parties considérées comme non nobles rentrent dans la composition de nombreuses recettes. En effet, l’Italie qui est le pays consommant le moins de viande est paradoxalement celui qui consomme le plus d’abats.
La cucina povera est riche de recettes ancestrales utilisant les abats des bovins, ovins, caprins, quadripèdes ou bipèdes, mais aussi d’animaux marins (foie de lotte, cœur de thon, …). Ce n’est pas pour rien que Rome est considérée comme la capitale du « 5ème quartier ». Les vaccinare (employés de l’abattoir de Testaccio) étaient payés avec le fameux quinto quarto. D’où un répertoire culinaire riche de plats comme les tripes à la romaine, queue de bœuf à la vaccinara ou encore les animelle fritte (les ris de veaux frits).
Le Baccalà et le stoccafisso
Le baccalà (la morue salée) et le stoccafisso (la morue séchée) étaient considérés comme les poissons du pauvre, bon marché et non périssables.
La morue et le stockfish (baccalà) désignent deux préparations à base de cabillaud, salée et séchée, qui sont au centre de la cucina povera des jours maigres en Italie. La consommation du cabillaud se diffuse en Italie dès la deuxième moitié du XVIème siècle. Bon marché, peu périssable et présent en abondance dans la mer du Labrador, le blanc de cabillaud est donc commercialisé à grande échelle. Progressivement, le stockfish (baccalà) et la morue gagne l’intérieur des terres et transforment la cuisine populaire.
Le gras du cochon
Le saindoux ou le lard, la matière grasse paysanne par excellence, calorique et goûteuse. Le gras du cochon jour un rôle essentielle dans la cucina povera. On l’utilise pour assaisonner des plats de pâtes par exemple avec le guanciale ou la pancetta, mais aussi pour la cuisson, notamment, la friture. L’utilisation du strutto (le saindoux) remonte au temps des Etrusques avant d’être supplanté par l’huile d’olive. Encore très présent, le saindoux joue le rôle d’exhausteur de goût et rentre dans la préparation de nombreuses tourtes de la cuisine paysannes et de pâtisseries.