L’artichaut dans la cuisine italienne
Itinéraire d’un légume ancré dans la culture italienne
L’artichaut est bien plus qu’un légume en Italie. C’est un marqueur culturel, un produit saisonnier ancré dans les traditions agricoles locales et un ingrédient essentiel dans de nombreuses recettes régionales. Présent sur les marchés dès l’automne et jusqu’au printemps, il est cuisiné de mille façons, du plus simple au plus sophistiqué. Chaque région cultive « son » artichaut, souvent lié à un terroir bien précis, et certaines variétés sont protégées par des appellations comme l’IGP ou la DOP. D’autres, plus confidentielles, sont classées comme produits agroalimentaires traditionnels ou soutenues par le mouvement Slow Food. À travers sa diversité, l’artichaut incarne une Italie gourmande, rustique et profondément attachée à son patrimoine culinaire.
L’artichaut, une plante singulière au cœur du bassin méditerranéen
L’artichaut, de son nom scientifique Cynara cardunculus var. scolymus, appartient à la famille des Astéracées. Il s’agit d’une plante vivace originaire du bassin méditerranéen, probablement issue du chardon sauvage. Elle développe une rosette de feuilles dentelées, vert grisâtre, et peut atteindre jusqu’à un mètre cinquante de hauteur. Ce que l’on consomme est le bouton floral, appelé capitule, récolté avant sa floraison. Il est formé de bractées épaisses — parfois épineuses — qui protègent le cœur, la partie la plus tendre.
Selon les variétés, l’artichaut peut être rond ou allongé, violet ou vert, avec ou sans épines. Certaines têtes sont très charnues et se prêtent à la cuisson, d’autres sont si tendres qu’on les mange crues. En cuisine, il est polyvalent : sauté, frit, farci, braisé, conservé sous huile ou même grillé sur les braises. Peu d’ingrédients offrent autant de possibilités tout en gardant une identité aussi forte.
Une origine méditerranéenne ancienne
L’artichaut tel que nous le connaissons aujourd’hui est le fruit d’un long processus de sélection et de croisement à partir de chardons sauvages, présents depuis l’Antiquité dans tout le bassin méditerranéen. Des auteurs grecs et latins évoquaient déjà des plantes semblables, consommées à des fins médicinales ou alimentaires. Les premières formes domestiquées apparaissent probablement en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, où le chardon sauvage était récolté pour sa base comestible.
C’est au Moyen Âge que l’artichaut commence à prendre sa forme actuelle, sous l’impulsion des agriculteurs arabes, qui développent des méthodes de culture plus avancées. Ce sont eux qui, en perfectionnant la plante, en font un légume à part entière. La Sicile, alors sous domination arabe, joue un rôle central dans sa diffusion vers l’Italie. Le terme italien carciofo vient d’ailleurs directement de l’arabe al-kharshuf.
L’introduction de l’artichaut dans la péninsule italienne remonterait au XIIIe siècle. D’abord cultivé dans le sud du pays, il gagne ensuite le centre, puis le nord. Dès le XVe siècle, sa culture est attestée en Toscane et dans le Latium. À la Renaissance, il entre dans les cuisines nobles : Catherine de Médicis, née à Florence, contribue à son introduction en France au XVIe siècle, en l’emportant avec elle à la cour royale.
Aujourd’hui, l’Italie est le premier producteur mondial d’artichauts, avec une production annuelle qui avoisine les 376 000 tonnes. Mais plus que le volume, c’est la diversité de ses cultures qui impressionne : on recense plusieurs dizaines de variétés cultivées dans le pays, certaines à l’échelle industrielle, d’autres plus confidentielles, souvent liées à un terroir bien défini. Ainsi, chaque région cultive sa variété d’artichaut, adaptée au climat, au sol, et aux traditions culinaires locales. L’artichaut y est devenu bien plus qu’un simple légume : il est un marqueur d’identité, un produit de saison qui relie les gestes agricoles ancestraux aux pratiques culinaires d’aujourd’hui.
Les grandes variétés italiennes
Chaque artichaut raconte une histoire de territoire. En voici six parmi les plus emblématiques, chacune liée à une tradition culinaire, un climat, et un savoir-faire transmis.
Le Romanesco del Lazio, l’artichaut romain par excellence
Dans la région de Rome, le Carciofo Romanesco del Lazio est un emblème de la cuisine locale.Protégé par une IGP (Indicazione Geografica Protetta) depuis 2002, il est cultivé dans la plaine côtière au nord et au sud de la capitale, notamment à Ladispoli, Cerveteri et Sezze.

C’est un artichaut sans épines, à la forme arrondie et régulière, de couleur vert clair marbrée de violet. Il est très charnu, peu fibreux, avec peu ou pas de foin. La récolte s’effectue entre mars et mai, et la Sagra del Carciofo Romanesco organisée chaque année à Ladispoli est l’une des plus importantes d’Italie. On le retrouve également farci, pané, sauté à l’ail ou dans des plats de pâtes. Sa tendreté en fait un ingrédient facile à travailler et très apprécié des cuisiniers. En effet, l’artichaut romanescho est incontournable dans deux recettes typiques.
Les carciofi alla romana, farcis de menthe sauvage (mentuccia), d’ail et de persil, puis cuits lentement à l’étouffée dans de l’huile et de l’eau, jusqu’à ce qu’ils deviennent fondants.
Les carciofi alla giudia, spécialité de la communauté juive romaine, sont frits deux fois pour obtenir une texture croustillante, avec des feuilles ouvertes comme une fleur dorée.
Le Violetto di Sant’Erasmo, l’artichaut de la lagune
Dans la lagune de Venise, sur l’île de Sant’Erasmo, pousse un artichaut unique en son genre : le Carciofo Violetto di Sant’Erasmo. Il ne bénéficie pas d’une appellation officielle, mais il est protégé localement par une association de producteurs. Chaque printemps, la Sagra del Carciofo Violetto di Sant’Erasmo célèbre ce joyau maraîcher et rend hommage au travail des maraîchers de la lagune.

Le sol sablonneux de l’île, enrichi par le sel de la mer et l’humidité constante de l’environnement lagunaire, confère à cet artichaut une texture souple, une saveur douce et une extrême tendreté. De forme allongée, il présente une teinte violette profonde et de fines épines à peine perceptibles. La première tête produite par la plante, appelée castraura, est la plus prisée : cueillie très tôt au printemps, elle se consomme crue, finement tranchée, simplement relevée d’huile d’olive extra vierge, de citron et de quelques cristaux de sel.
Les artichauts récoltés ensuite sont préparés de multiples façons. Ils sont souvent frits en beignet dans une pâte légère, ou braisés à l’étouffée avec de l’ail, du persil et un filet de vin blanc, selon la tradition vénitienne. On les associe volontiers aux petits crustacés locaux — crevettes grises, crabes mous — dans des plats simples qui reflètent la saison et la proximité de la mer. Présents sur les étals des marchés de Venise dès avril, ils font partie intégrante de la cuisine printanière de la lagune, servis en antipasti ou en accompagnement de poissons délicats.
Le Spinoso di Albenga, douceur de la Riviera
Sur la côte ligure, autour de la ville d’Albenga, on cultive une variété d’artichaut classée comme produit agroalimentaire traditionnel (PAT) : le Carciofo Spinoso di Albenga. Sa silhouette allongée, ses bractées vertes légèrement violacées et ses petites épines dorées lui donnent une élégance toute particulière.
Il est réputé pour sa saveur douce et sa texture à la fois croquante et fondante. Très tendre, il peut se consommer cru, ce qui est rare pour une variété épineuse. La récolte a lieu de novembre à avril, exclusivement à la main, souvent aux heures fraîches.

L’une des manières les plus populaires de le préparer est al pinzimonio : les feuilles internes sont trempées dans une sauce à base d’huile d’olive, de citron et de sel. Il entre aussi dans la composition de la torta pasqualina, une tourte de Pâques à base de blettes, d’œufs et de ricotta, typique de Gênes. Enfin, il est souvent conservé sous huile, après un passage dans un bain de vinaigre et d’eau, pour accompagner charcuteries et fromages tout au long de l’année.
Le Spinoso di Sardegna, fierté de l’île
En Sardaigne, l’artichaut est une affaire sérieuse. Le Carciofo Spinoso di Sardegna bénéficie d’une DOP (Denominazione di Origine Protetta) depuis 2011. Il est cultivé dans plusieurs provinces de l’île, en particulier dans les plaines côtières au climat doux et sec.

Sa tête est allongée, ses bractées vert foncé se terminent par de longues épines dorées, et sa saveur est puissante, légèrement amère, mais équilibrée par une grande fraîcheur. Il est récolté entre janvier et avril. Plusieurs villages organisent des fêtes locales — sagre — pour le célébrer, notamment à Samassi, Uri et Villasor.
En cuisine, il est omniprésent. Cru, il est émincé et servi en salade avec un filet d’huile d’olive, du citron et parfois de la bottarga râpée, ces œufs de mulet séchés typiques de la région. On le retrouve aussi dans le traditionnel ragoût d’agneau aux artichauts, où les cœurs sont mijotés avec la viande, du vin blanc, de l’ail et des herbes du maquis. Il est souvent grillé entier sur les braises, avec de l’ail glissé entre les feuilles, ou conservé dans l’huile en bocaux artisanaux.
Le Carciofo Tema del Sulcis
Le Carciofo Tema del Sulcis est une variété d’artichaut cultivée dans la région du Sulcis, au sud-ouest de la Sardaigne. Cette région, réputée pour son climat doux et ses sols fertiles, offre des conditions idéales pour la culture de l’artichaut.

Le Carciofo del Sulcis est une variété précoce, appréciée pour sa capacité à être récoltée dès le début de la saison. La récolte commence généralement en novembre, permettant aux producteurs sardes d’approvisionner le marché avec des artichauts frais avant l’arrivée des variétés plus tardives. Cette précocité confère un avantage économique significatif aux agriculteurs de la région.
Sur le plan gustatif, l’artichaut del Sulcis se distingue par sa saveur délicate et sa texture tendre, le rendant particulièrement adapté à diverses préparations culinaires. Il est souvent consommé cru en salade, assaisonné d’huile d’olive et de citron, ou cuit dans des plats traditionnels sardes.
La culture de cette variété dans le Sulcis s’inscrit dans une tradition agricole ancienne, témoignant de l’importance de l’artichaut dans le patrimoine gastronomique de la Sardaigne. Les producteurs locaux, souvent regroupés en coopératives, s’attachent à préserver et promouvoir cette culture, contribuant ainsi à la valorisation des produits typiques de l’île.
Le Spinoso di Sicilia, un artichaut au goût de terroir
Dans l’ouest de la Sicile, notamment à Menfi et Niscemi, on cultive une variété rustique, classée à la fois comme produit agroalimentaire traditionnel (PAT) et sentinelle Slow Food : le Carciofo Spinoso di Sicilia. Cette reconnaissance vise à préserver une variété ancienne, menacée de disparition dans les années 1990.

Il se présente sous une forme ovoïde, aux bractées vert clair légèrement violacées et aux longues épines dorées. Sa chair est ferme, croquante, au goût végétal intense. La récolte s’échelonne de fin novembre à avril, sur de petites exploitations familiales. À Menfi, la Sagra del Carciofo rend hommage chaque année à ce légume-racine de la culture agricole locale.
Parmi les préparations les plus emblématiques : les artichauts grillés sur braise, fendus et garnis d’ail, d’huile et de chapelure, puis lentement cuits dans les cendres chaudes. On le retrouve aussi dans une version hivernale de la caponata, où il remplace l’aubergine dans un mélange aigre-doux avec céleri, olives, câpres et tomate. Il est également préparé farci, avec du pain rassis, du pecorino, de l’ail et des herbes, puis braisé doucement.

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